top of page

Talleyrand franc-maçon

Le talentueux et prolifique illustrateur Jacques Lardie dit JIHEL a été particulièrement inspiré par le thème de Talleyrand Franc-Maçon : Des milliers de cartes postales à ce jour ! J’ai connu Jacques Lardie vers la fin des années soixante-dix à Toulouse, à l’occasion d’une exposition de ses dessins et nous avons bien sympathisé (je l’avais reçu chez moi pour une interview liée à son travail d'artiste), d’où mon intervention amicale sur ce sujet « Talleyrand franc-maçon » ; je souhaite préciser que je ne connais pas particulièrement Talleyrand, c’est par conséquent avec un œil tout neuf que j’ai abordé ce personnage historique qui inspire tant notre illustrateur favori.

 

Mais qui est donc Jacques Lardie ? C’est un célèbre journaliste et surtout dessinateur de presse caricaturiste, auteur de séries de cartes postales satiriques historiques ; l’une de ses principales sources d’inspiration est Talleyrand, dans une série de 600 numéros intitulée Ciment de l'histoire ; la majorité des dessins fait allusion à l'appartenance maçonnique du Prince.

 

La série Ciment de l'Histoire a pour but comme l'indique la carte de présentation de « dénouer les fils du lac d'amour liés à l'histoire », ainsi que le signale le livre de Fabien Zeller intitulé Ciment de l'histoire, série de dessins de l'artiste Jihel, une promenade surréaliste ; étude des 100 premiers numéros (Édition du Pavé mosaïque, mars 1982, préface de Léo Campion).

 

Les notices biographiques consacrées à Talleyrand n’évoquent pas son appartenance à l’Ordre maçonnique ; elles mettent en avant ses grandes origines nobiliaires, sa claudication dès l'enfance, sa conviction de n'être pas aimé de sa mère et l’obligation imposée par sa famille d'entrer dans les ordres sans vocation ; évêque d'Autun à 34 ans, très lié avec Mirabeau, il a joué un rôle décisif dans la nationalisation des biens du clergé, dans l'établissement de la constitution civile du clergé et a sacré les premiers évêques constitutionnels. Ses activités politiques lui permirent de constituer « une immense fortune, une fortune immense ! » et doivent se comprendre à l’aune de ses relations fortes avec Napoléon, qu’il a admiré avant de le trahir, d’où ces propos cinglants de l’empereur corse : « Vous êtes de la merde dans un bas de soie ! ». Talleyrand a également eu une vie sentimentale fort riche et cet évêque dynamique a eu plusieurs enfants naturels, dont Charles de Flahaut.

 

Talleyrand franc-maçon ? Selon l’historien Daniel Ligou, « Le diable boiteux ne paraît pas s’être intéressé très sérieusement à la Maçonnerie. Nous ignorons le lieu et la date de son initiation. Sous l’Empire, son nom figure sur les tableaux de L’Impériale des Francs Chevaliers, loge sur laquelle était souchée la loge d’adoption dont fit partie l’impératrice Joséphine. »

 

En tout cas, les superbes cartes postales réalisées par Jihel évoquent systématiquement l’engagement maçonnique de Talleyrand : le visage accompagné de symboles maçonniques (équerre, compas, etc.), le plus souvent en couleurs, ou bien des saynètes en noir et blanc, avec un texte humoristique.

Sur Talleyrand, Jacques Lardie a toujours soufflé le chaud et le froid, partagé qu’il est entre admiration pour sa diplomatie et sa manière de passer entre les gouttes et ses intrigues de couloirs ; c'est un personnage qui aurait dû être guillotiné cent fois et Jacques Lardie l’a choisi parce qu'il coïncidait bien avec le diable qu’il voulait représenter.

Le dessinateur a toujours choisi des personnages historiques pour illustrer ses dessins d'actualité, Jaurès, Louise Michel, Peladan, etc. Les premières apparitions de Talleyrand datent de 1968, alors que Jacques Lardie signait à l'époque JIHEL (il a abandonné ce pseudo pendant de nombreuses années avant de le reprendre à la fin des années soixante-dix).

 

Dans les cartes postales de Jacques Lardie consacrées à Talleyrand, apparaît souvent le personnage de Napoléon, ce qui est normal lorsque l’on sait les relations fortes et complexes entre l’empereur corse et Talleyrand, sans oublier l’engouement de l’époque pour la franc-maçonnerie (certes dévouée à l’Empereur des Français !). Dans une carte, Jihel fait dire à Napoléon : « Talleyrand en tant que novice de la franc-maçonnerie, ce marquis de La Fayette en 33e, c’est du Turgot ».

 

Que dire en conclusion de ce survol amical des relations tumultueuses entre Talleyrand et Jihel ? Tout d’abord, il est évident que Jacques Lardie considère Talleyrand comme un personnage qui le fascine par sa diplomatie et à la fois l'horripile par ses trahisons successives.

L’autre dimension évidente de cette brève étude est la véritable connaissance qu’a Jacques Lardie de la franc-maçonnerie ; je ne sais pas s’il est membre comme il est dit souvent de cet ordre initiatique et humaniste mais ses rapports avec les Grands Maîtres du Grand Orient de France Roger Leray, Fred Zeller et Jacques Mitterrand sont connus, de même que son implication avec Roger Leray et Michel Rocard sur le problème de la Nouvelle Calédonie ainsi que ses déboires avec des supposés francs-maçons comme Pradille, l'ex-maire d'Angoulême Boucheron, Jacques Médecin à Nice…etc etc.

 

En ce qui concerne la franc-maçonnerie, je pense qu’il faut comprendre Jacques Lardie par ses amitiés avec Léo Campion et Léo Ferré, soit le chaînon libertaire de la franc-maçonnerie, sa soif de liberté et par conséquent son côté libertaire si sympathique. Et puis, quel talent de dessinateur ! Ces milliers de cartes postales, de dessins, sont une joie inépuisable de l’esprit ; merci à Jacques Lardie de nous offrir une telle liberté de pensée

 

Pierre Léoutre, écrivain

divers